Vacances :« Le temps vide, c’est le monde moderne. » Enregistrer au format PDF

Mercredi 1er juillet 2020

Vacances :« Le temps vide, c’est le monde moderne. » (André Malraux)

Au temps où les congés n’existaient pas.

Dans les sociétés traditionnelles le temps libre n’existait pas. Dans son discours du 19 Mars 1966, lors de l’inauguration de la Maison de la culture d’Amiens, André Malraux, alors Ministre de la Culture du général de Gaulle, fit cette étrange constatation : « Les grandes civilisations agraires et plus ou moins religieuses n’avaient pas de temps vide : elles avaient des fêtes religieuses. » On peut même dire que dans notre Bretagne catholique et rurale, jusque dans les années cinquante, le temps se répartissait entre le profane et le sacré. Le temps profane était consacré au travail et aux activités utiles. Le temps sacré était réservé aux cérémonies religieuses. Prenons l’exemple des vacances scolaires : elles étaient fixées en fonction des fêtes religieuses et du travail des champs. La nature et la religion étaient les deux grands marqueurs de la civilisation rurale.

Côté temps sacré, en plus des dimanches il y avait de nombreuses fêtes chômées : fêtes patronales, Quatre Temps, Rogations, Mercredi des Cendres, Jours Saints avant Pâques….etc. Sans compter l’organisation de semaines de missions paroissiales et de retraites pour hommes, pour femmes, pour jeunes gens, pour enfants… Et comme le remarque encore André Malraux, dans ces sociétés traditionnelles, « la signification de la vie était donnée par les grandes religions. »

Le monde moderne remplace le temps sacré par les congés. Deux éléments principaux ont bouleversé cette harmonie des sociétés rurales et religieuses : l’invention de la machine et l’émancipation des esprits.

La machine modifie le travail. Elle permet ces concentrations industrielles dans lesquelles le travailleur est coupé des rythmes naturels. L’avènement du prolétariat engendre une catégorie sociale nouvelle. Eloigné de son environnement naturel, le monde ouvrier urbanisé, s’émancipe en plus de l’influence religieuse. D’autant plus que le marxisme lui explique que les institutions religieuses sont les alliées de la bourgeoisie… Ce qui est vrai en grande partie au 19e siècle et au début du 20e.

Cette nouvelle classe sociale qui se distancie des modèles hérités du monde rural, c’est une nouvelle civilisation qui se développe. Pour celle-ci, les fêtes religieuses ne disent plus rien. Pour aménager des temps de repos, on va créer les « congés payés » qui apparaissent tardivement, en 1936. Pour ceux qui en bénéficient, c’est ce que Malraux appelle le temps « vide » parce qu’il est laissé à l’entière disponibilité des bénéficiaires qui peuvent en faire ce qu’ils veulent. Rien ne leur est prescrit. Ce temps libre ne dit rien sur « la signification du monde. »

L’émancipation des esprits. La grande idée philosophique qui nous vient du 18e siècle, dit siècle des Lumières, c’est qu’il n’y a pas de vérité absolue qui s’impose aux humains. Donc pas de dogme imposé de l’extérieur. Toute vérité est l’objet de recherche et de la libre critique et appréciation de chacun. « Pense par toi-même », telle est la principale consigne du grand philosophe allemand Emmanuel Kant dont l’influence sur notre culture européenne est très importante. Cette liberté de pensée s’accompagne de toutes les autres en matière de choix moraux, de choix politiques…etc. Autrement dit, dans ce contexte, les religions perdent le monopole du contrôle des consciences.

Mais que va-t-on mettre à la place ?

André Malraux voit bien le problème posé par cette évolution. Qu’est-ce que les populations vont faire de ce « temps vide ? » Où vont s’élaborer les grandes significations du monde qui font les civilisations ? Certes, il y a encore les religions mais elles sont en recul. Si on laisse les choses aller à leur pente naturelle, les gens risquent de s’abrutir par le pur divertissement et la consommation. Bien sûr admet Malraux, on a besoin de loisirs. Mais pas que ! D’après lui, le champ laissé libre par les religions pourrait être réinvesti par des activités de l’esprit. D’où son vaste programme des Maisons de la Culture et de la pérennisation d’un Ministère qui lui est consacré.

Mais il reste à chacun de nous le soin de faire une part à cette activité culturelle pendant les vacances : visites de musées, de sites archéologiques, spectacles, concerts, festivals. Bref, tout ce qui donne sens au temps profane que nous consacrons au travail. C’est dans ce libre choix que désormais s’insèrent les religions, soit pour les croyants comme manifestation de leur foi, soit pour d’autres, au titre du patrimoine culturel.

L’essentiel c’est de s’élever l’esprit.

Elie Geffray
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