Serons-nous bientôt trop nombreux sur la planète ? Enregistrer au format PDF

Jeudi 11 mars 2021

Les chiffres bruts peuvent donner le vertige. La population mondiale était de 2,5 milliards d’habitants en 1950. En 2020, elle était de 7,8 milliards. Soit une progression de 5,3 milliards en 50 ans. C’est au cœur des années 70-75 que l’évolution a été la plus forte : en 35 ans la démographie a doublé. Si cette courbe ascendante se maintenait, on pourrait craindre une surpopulation et un épuisement de nos ressources. Cette peur est largement exploitée idéologiquement par un certain Renaud Camus, que le grand public ne connaît guère, mais dont les théories sont reprises et vulgarisées par le journaliste d’extrême-droite Eric Zemmour qui se produit régulièrement sur la chaîne CNews (la 16). Leur thèse se résume par un slogan : « le grand remplacement. » Il faut entendre par là le risque, d’après eux, de voir les populations africaines, très jeunes et très nombreuses, envahir l’Europe vieillissante, et se substituer progressivement aux « blancs » sous la pression de migrations importantes. Ce serait alors la perte de notre identité et l’asphyxie de notre culture au profit de « l’islamisation des esprits. »

Comme toujours à propos de questions aussi vives, il faut quitter le terrain idéologique pour voir la réalité. Or que nous dit la démographie ?

Quelques éléments de la démographie (1)

La première donnée évidente de la démographie mondiale, c’est que la forte progression que nous avons connue dans un passé récent est maintenant derrière nous. C’est Hervé Le Bras qui le constate : « L’explosion est derrière nous. Les effectifs plafonneront vraisemblablement vers 2065 et n’atteindront probablement pas les dix milliards d’humains. La croissance démographique a changé de nature. Il y a cinquante ans, la plupart des pays en développement avaient une fécondité très élevée. L’Algérie flirtait alors avec les 8 enfants par femme. Aujourd’hui, plus de deux pays sur trois sur la planète ont une fécondité inférieure au seuil de 2,1 enfants par femme qui assure le remplacement des générations. »

En grande partie, ce ralentissement de la croissance démographique est dû à deux causes liées ensemble : le développement économique et l’éducation des jeunes filles. Du fait que celles-ci font des études, elles se marient à un âge plus avancé et maîtrisent mieux leur fécondité. Par exemple : le taux de fécondité le plus élevé au monde est celui du Niger (7 enfants par femme), et c’est précisément le pays où le retard éducatif est le plus important, conjugué avec un fort patriarcat traditionnel. Dans le même temps, la fécondité des pays du Maghreb, encore très élevée il n’y a pas si longtemps, tend maintenant à s’aligner progressivement sur la moyenne européenne.

A titre documentaire, les trois pays à plus forte baisse de population entre 2020 et 2050 devraient être : la Chine, Le Japon et La Russie. Dans le même temps, l’Inde progressera fortement ainsi que le Nigéria et le Pakistan. Quoiqu’il en soit, ce que nous pouvons retenir de cette première approche, c’est que le développement économique et l’éducation sont les deux leviers importants de la régulation démographique. Mais cela ne règle pas tout. Il existe aussi quelques perturbateurs que je ne ferai qu’évoquer ici pour l’instant.

  • D’abord la question de la subsistance. On s’accorde en général pour dire que la terre peut nourrir 10 milliards d’habitants. Encore faudrait-il économiser les surfaces agricoles et les maintenir dans un bon état écologique, et que l’alimentation soit équitablement assurée. Or, la concurrence économique et les égoïsmes nationaux sont contre-productifs à tous ces niveaux, et engendrent des inégalités insupportables… Il y a une contradiction à ce propos chez les nationalistes : le repli sur soi provoque plus d’insécurité économique que la coopération. Il y a une manière rigide de pratiquer les frontières qui est très aveuglante.
  • Ensuite, les guerres : les nombreux foyers de conflits (Afghanistan – Irak - Nigéria – Yémen – Somalie…etc) détruisent les richesses et les moyens de production des pays concernés. Ils nuisent aussi à la condition des femmes (qui ne vont plus à l’école pendant ce temps-là) et retombent souvent sous la domination des hommes-guerriers. D’où reprise d’une fécondité galopante.

Conclusion.

Ce petit tour d’horizon est loin de rendre compte de la totalité des questions fort complexes liées à la démographie mondiale. Pour l’instant je laisse de côté deux sujets qui produisent de l’émotion : les migrations et l’islamisme. Là encore, il nous faudra dépasser les passions idéologiques et aller aux réalités.

Elie Geffray

(1) - Source principale : dossier du journal « La Croix » publié dans les éditions du 16 novembre au 3 décembre 2020.

  • Autres sources : - Hervé Le Bras – démographe, titulaire de la chaire territoire et population à la Fondation des sciences de l’homme. A publié « Serons-nous submergés ? Epidémie, migration, remplacement. » Oct. 2020 – Fondation Jean-Jaurès.

- INED (institut national d’études démographiques.)

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