Le féminisme français Enregistrer au format PDF

Lundi 12 octobre 2020

Le féminisme français : accords et divergences

L’actualité est fréquemment consacrée aux violences faites aux femmes, aux inégalités salariales, à l’absence de parité dans de nombreuses instances de responsabilités. Une longue histoire.

Coup d’œil dans le rétroviseur.

On ne peut pas dire que la Révolution Française fut favorable aux femmes. Le statut de la femme n’était pas à l’ordre du jour de la déclaration des « droits de l’homme », votée le 29 Août 1789. Deux exceptions cependant : le philosophe Condorcet et la grande pionnière du féministe Olympe de Gouges qui, l’un et l’autre, réclamaient l’égalité citoyenne homme femme, en 1791. Mais les urnes ne furent cependant accessibles qu’aux hommes pendant tout le 19e siècle. Seul signal positif sous la 3e République : la Loi du 21 décembre 1880 qui créait les Lycées de jeunes filles.

Mais c’est au début du 20e, à l’occasion de la guerre 14-18, que l’importance des femmes dans la société va se consolider. Pendant que les hommes combattent dans les tranchées, ce sont leurs épouses qui vont assurer la continuité des tâches essentielles au pays. Elles font tourner les usines, assurent les travaux des champs et les charges domestiques et familiales. En 1922, puis en 1936, on note deux tentatives de projets de loi en faveur du vote des femmes. Elles furent l’une et l’autre votées à l’Assemblée Nationale mais refusées au Sénat. Il faudra attendre 1945 pour que les femmes puissent voter. Cela illustre bien la lenteur de cette évolution de la reconnaissance des femmes.

Et le féminisme contemporain ?

On pourrait citer plusieurs femmes qui ont particulièrement servi cette cause à notre époque. Pour ma part j’en citerai volontiers quatre, parmi bien d’autres : l’écrivaine Simone de Beauvoir, l’anthropologue Françoise Héritier, la militante Gisèle Halimi et Elisabeth Badinter, reconnue pour sa réflexion philosophique et sociologique sur la condition des femmes.

Les féministes françaises s’accordent sur un fond commun de luttes : lutte pour l’égalité hommes-femmes dans tous les domaines : politique, économique, culturel, juridique, familial. Mais comme l’explique l’historienne Bibia Pavard (1), il n’y a jamais eu un féminisme unifié mais des féminismes. Les Françaises n’échappent pas à cette règle. Si elles sont d’accord sur ce fond commun des luttes, elles divergent sur trois points : la prostitution, le voile islamique et la GPA. Pour une partie d’entre elles, les « abolitionnistes », la prostitution est une violence faite aux femmes dans tous les cas puisque c’est un système marchand qui utilise le corps de femmes pour satisfaire le désir des hommes. Donc à proscrire. Leur approche de la GPA s’apparente elle aussi à de la prostitution dans la mesure où il s’agit de prêter son corps moyennant rétribution financière, même si l’intention est différente. Par ailleurs elles voient dans le voile islamique le symbole de la domination religieuse, patriarcale et sexiste. Donc à proscrire dans l’espace public. Une autre partie des féministes portent un autre jugement sur ces questions. Elles admettent que des femmes puissent, sous réserve d’un choix libre, choisir la profession de « travailleuses du sexe. » Ainsi en va-t-il, estiment-elles, de la GPA : il convient de respecter le libre choix de celles qui acceptent ce service de prêter leur corps pour une gestation pour autrui. Attentives aux circonstances et aux cas particuliers, elles sont opposées à une législation universellement négative. Dans le même ordre d’idée, elles estiment, par rapport au voile islamique, que des femmes puissent décider de le porter, volontairement et sans contrainte extérieure. Donc, à respecter.

En conclusion.

Ces divergences ont au moins le mérite d’alimenter un débat public qui déborde de loin les cercles féministes. C’est un problème de société. Mais, par-delà ces avis divers, l’objectif unique demeure : promouvoir l’égalité et l’harmonie des rapports entre hommes et femmes dans la vie sociale. Depuis les écrits de Condorcet et de Olympe de Gouges, il s’est passé plus de deux siècles. Certes les lignes ont bougé lentement, mais les principaux droits des femmes sont entrés dans notre législation. Pour autant il reste encore à mettre en œuvre l’égalité salariale, à juguler la violence faite aux femmes (féminicides) et à corriger, par l’éducation, le machisme qui subsiste dans nos mentalités. Le féminisme a encore de bons combats à mener mais à condition d’éviter des comportements radicalisés et la tentation, parfois, de se substituer aux décisions de justice, tentation très justement dénoncée récemment par une militante en vue : Caroline Fourest.

Elie Geffray

(1) Voir l’ouvrage de l’historienne Bibia Pavard, intitulé : « Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours » – La Découverte)

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