Les catholiques français (2) Enregistrer au format PDF

Dimanche 10 janvier 2021 — Dernier ajout lundi 1er février 2021
Que deviennent les catholiques français ? (suite et fin)

Le mois dernier, nous avons tenté de décliner les diverses tendances des catholiques français à partir de Vatican 2. A propos des intégristes coupés de Rome, j’avais signalé le prieuré Ste Anne de Lanvallay. On peut ajouter aussi, plus récemment et plus près de nous, l’installation d’une petite communauté religieuse de cette mouvance dissidente à Coat-Couvran à Yvignac : le domaine St Joseph. Nous achevons ce mois-ci notre parcours par un aperçu sur deux sensibilités catholiques plus visibles en ville qu’à la campagne : les « charismatiques » et les « observants. » Mutation d’importance : d’essentiellement rural qu’il était jusque dans les années 50, le catholicisme français est désormais majoritairement urbain.

Les charismatiques, difficilement classables. Plutôt conciliaires mais faisant une grande part à l’émotionnel, au « réveil spirituel », à une spiritualité fervente et souvent démonstrative, avec des pratiques qui au départ, frisaient le « miraculeux. » Ils plongent leurs racines dans le protestantisme évangélique sud-américain du 19e siècle. Ils sont apparus dans le catholicisme français dans les années 70. Très « spontanéistes » au départ, la hiérarchie catholique les a progressivement apprivoisés pour une meilleure intégration dans les institutions de l’Eglise. Il existe deux communautés de cette inspiration dans notre région : le « Foyer de Charité » de Tressaint, et la communauté du « Chemin neuf » à Boquen. Tout en étant « conciliaires », les charismatiques se rapprochent souvent, dans la pratique, de ces nouveaux catholiques de la contre-révolution catholique que Yann Raison du Cleuziou nomme « les observants. »

Les observants. Sans être ouvertement hostiles à Vatican II, ils entendent cependant tourner la page de cet épisode qu’ils jugent sévèrement. Selon eux, le Concile aurait été laxiste, aurait ouvert les portes au relativisme et à l’effacement de la visibilité des chrétiens dans une société sécularisée, laquelle tournerait le dos à la « culture chrétienne » qui serait le socle de l’identité de la France, « fille aînée de l’Eglise » comme le rappelait Jean-Paul II, qui reste leur pape de référence. Il faut mener le combat de la reconquête dans l’opinion, et pour cela s’engager sur le terrain politique pour influencer les grandes décisions. Ils s’impliquent surtout sur les problèmes de société : ils sont hostiles à la législation sur la famille : le divorce, la contraception, et en particulier l’IVG, la loi Taubira sur le mariage des homosexuels, et aujourd’hui, en matière de bioéthique, ils militent contre la PMA. Ils ont été au cœur de « La manif pour tous. » Politiquement, ils appartiennent le plus souvent à la partie de la « droite décomplexée » dont l’élu et philosophe emblématique est François-Xavier Bellamy, député LR au Parlement européen. Souvent, ils ont plus d’affinités avec Marion Maréchal (Le Pen) qu’avec les libéraux de leur propre camp.

Sur le plan religieux, ils sont conservateurs : maintien de la doctrine, des obligations et des principes susceptibles de dessiner les contours du religieux dans un contexte sécularisé. Ce groupe des « observants » se recrute dans le milieu urbain et élitaire (ingénieurs, médecins etc..) Ils appartiennent à la génération des « trentenaires » et des « quadras » et pratiquent la religion en famille. Les prêtres de cette mouvance portent le col romain, enseignent une doctrine bien cadrée et restaurent souvent des pratiques de piété d’avant le Concile : exposition du Saint Sacrement, bénédictions de toutes sortes, et même parfois retour aux processions de la Fête-Dieu. Ils veulent être reconnus par des signes extérieurs. Souvent modernes sur les moyens techniques utilisés, ils sont conservateurs sur les contenus.

Deux ouvrages viennent de leur être consacrés. Leur titre est tout un programme. Pascale Tournier, rédactrice en chef adjointe au service actualité de La Vie, voit leur émergence comme un retour « du vieux monde » (1)), tandis que pour Yann Raison du Cleuziou, politologue de l’université de Bordeaux, il s’agit d’une « Contre-Révolution catholique. » (2)

En conclusion.

Dans la galaxie catholique d’aujourd’hui, les « conciliaires ordinaires » aussi bien que « progressistes » sont vieillissants. Les « observants » sont certes moins nombreux, mais ils sont plus jeunes et plus combatifs pour corriger la société selon un modèle de « chrétienté » décrié par les « cathos de gauche ». Si on ajoute les « charismatiques » qui sont parfois leurs alliés, force est de constater que c’est cette mouvance restauratrice qui est aujourd’hui la plus présente et la plus active. Le catholicisme français pourrait prendre ainsi un tour inattendu, cinquante-cinq ans après la fin du Concile. Avec le risque de s’enfermer dans un ghetto que Léon XIII redoutait déjà lorsque les catholiques français, à la fin du 19e s, refusaient la République. A la différence près qu’aujourd’hui, c’est la pensée qui relève de la modernité dite « des Lumières » qui est contestée.

Elie Geffray

1- Pascale Tournier – Le vieux monde est de retour. Enquête sur les nouveaux conservateurs. (Stock)

2– Yann Raison du Cleuziou – Une contre-révolution catholique. Aux origines de la Manif pour tous. (Seuil)

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