Résister à la solitude Enregistrer au format PDF

Dimanche 24 mai 2020
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Nous venons de célébrer l’Ascension, c’est-à-dire un adieu, un départ, une absence. La disparition de Jésus, dit ressuscité et reconnu messie, d’un homme qui a passé sa vie publique à enseigner, à débattre. Un grand homme capable de discuter dans les synagogues et le Temple de Jérusalem avec les plus habiles, les plus religieux et savants connaisseurs de la Loi de Moïse, et qui aura donné sa vie pour comprendre, guérir, défaire la solitude humaine, celle figurée par les maladies, les possessions, les fantasmes, mais encore la douleur, la pauvreté, l’exclusion. Sa mort violente est elle-même un formidable quiproquo tragique. Il meurt seul, moqué et incompris à la fois des siens et des autorités religieuses ou politiques, après avoir tant parlé et essayé de convaincre.

Pour répondre à l’incrédulité des proches de Jésus, leur sentiment d’abandon, le texte des Actes dit que Jésus est « enlevé » et « pris » ou caché par un nuage. C’est dans le langage que la disparition parvient à se dire. On use des symboles pour exprimer à la fois la perte et l’espérance.

Nous n’avons pas d’ascension quand nous perdons quelqu’un en ce monde. Il disparaît de nos yeux, de notre vie, et nous laisse devant le vide sur terre et provoque en nous un ébranlement intime. On s’affole de ne plus entendre sa rumeur , sa parole décisive, son pas énergique . Pourtant nous n’avons pas à rester malheureux à contempler celle ou celui qui « monte au ciel ». Il y a toujours un ange pour demander : « Pourquoi restez-vous à regarder vers le ciel ? » (Actes 1, 11).

Comme les apôtres, on fixe le ciel pour savoir. Un ange aura pris soin de notre maladresse. Il nous ramène de l’invisible à l’histoire, du symbole à la vie, de l’absence à la présence urgente du monde. Son message ? Une toute petite seconde de temps humain, de temps terrestre, suffit à remplir l’absence, le désarroi et le chagrin.

Si nous voulons être reliés à cette puissance invisible qui nous soutient et nous réconforte, nous devons changer notre relation aux autres, à nous-mêmes, changer notre rapport à la vie même. L’absence est un feu. Pour le comprendre et l’accepter, il faut revenir sur terre, au lieu même des traces et des déchirures. Le symbole d’une « montée dans le ciel », les peintres comme Giotto l’ont bien compris, est un symbole qui rassemble, qui figure la présence de l’Absent parmi nous. Il est présent de nous avoir quittés mais pas abandonnés.

Extraits de La Croix (16/05) de Frédéric Boyer
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